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Maja Bajevic
Assises sur les passerelles d'un échafaudage, des femmes brodent des motifs traditionnels bosniaques sur le filet de protection qui recouvre cette structure. Musulmanes en exil loin de Srebrenica, ville à majorité serbe où elles vivaient, elles se sont réfugiées à Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine. La jeune artiste Maja Bajevic les a sollicitées pour participer à une performance devant la façade de la "National Gallery" de l'ex-Yousgoslavie à Sarajevo. Cette oeuvre, "Women at work - Under Construction", 1999, conduit ces femmes en deuil, comme une passerelle, vers la reconnaissance.
"Croire que les tâches domestiques sont seulement réservées aux femmes est dépassé, et n'a rien à voir avec le rôle de la femme dans le Socialisme." déclarait Tito en 1958 en plein coeur du régime communiste yougoslave. Cette phrase, écrite sur un morceau de tissu dans le cadre d'une autre performance artistique, se dissout à présent sous le geste de femmes lavant du linge. Intitulée "Women at work - washing up", cette performance a été présentée lors de la Biennale d'art contemporain d'Istanbul en 2001 et s'est déroulée dans les bains publics de la ville. L'artiste Maja Bajevic, aidée de Fazila et Zlatija Efendic, deux réfugiées de Srebrenica, s'attachait à effacer les phrases de Tito, inscrites sur du linge, souvenirs de l'histoire de leur pays. Ce geste commun d'ablution place la question politique au sein du foyer domestique. Rite de passage, cette oeuvre est le troisième volet d'une série de performances "Women at work" qui montre des femmes en plein travail. Que celles-ci lavent, cousent ou brodent, elles symbolisent l'effort de reconstruction de la communauté d'un pays dévasté par la guerre. Anodines et minutieuses, ces tâches dévoilent l'univers féminin dans son intimité, dans sa solitude et dans son deuil. Piéta contemporaines, elles posent la question de la volonté de rassemblement au sein de chaque individu. Quel rôle doit y jouer la mémoire ? Facteurs d'évolution et de transformation, les souvenirs mettent à l'épreuve le temps présent. Et les femmes, dans leur infinie patience, expriment leur solidarité par de "petits riens", elles tentent d'apaiser les douleurs passées et les grandes déceptions qui s'annoncent.
L'eau qui purifie et qui régénère ne parviendra cependant pas à effacer complètement les mots de Tito, puisque c'est avec une eau déjà sale et qui ne sera pas changée, qu'a été réalisée la performance orchestrée par Maja Bajevic.
Lors de l'exposition "Fables de l'identité", Maja Bajevic présentait à l'Atelier du CNP, "Women at work - Under Construction".
Repères biographiques
Née en 1967 à Sarajevo, Maja Bajevic a étudié aux Beaux-Arts de Paris. Quand la guerre secoua son pays, elle se trouvait en France et ne put retourner à Sarajevo qu'après le conflit. Elle fit de la question nationaliste sa propre problématique. La série des performances "Women at work" débuta avec la performance "Dressed up" au Centre for Contemporay Arts (Sarajevo, 1999) où elle se confectionnait une robe à partir de pièces de tissu reprenant les différentes régions de l'ex-Yougoslavie puis quittait la salle. Elle vit actuellement entre Sarajevo et Paris. Elle a participé à de nombreuses expositions collectives dont récemment le Printemps de septembre (Toulouse, 2002) et "40 Jahre : Fluxus und die Folgen" (Wiesbaden, Allemagne, 2002). Dans ses dernières expositions personnelles, on compte : "Plug In" (Bâle, 2002), "Avanti popolo" (Viafarini, Milan, 2002), "Green, green, grass of home Artopia" (Milan, 2002).
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