Ceux qui nous habitent : les autres, bien sûr, ceux dont nous tirons, en retour, en miroir, notre identité. Mais aussi l’Autre, cet étranger en nous qui nous hante et détermine, plus ou moins, chacun de nos actes, chacune de nos pensées, comme un double.
Seydou Keïta a inlassablement photographié ceux au milieu desquels il vivait, et a ainsi contribué à faire exister la communauté qu’il est censé décrire. Bill Owens, lui, a porté sur les pratiques sociales de l’Amérique des années 70 un regard lucide et ironique. Le stéréotype apparaît bien ici comme la voix originale de la communauté, sa plus parfaite expression.
Ce regard sur la communauté prend des formes les plus variées : critique politique avec Allan Sekula ; plongée dans l’inconscient de classe et le non-dit avec Sarah Jones et Philippe Terrier-Hermann ; vision quasi-documentaire avec Céline van Balen, Jacob et Culmann, et avec les clichés dérobés de Jean-Christian Bourcart.
Mais qu’est-ce, exactement, qu’une vision documentaire ? Rineke Dijkstra et ses portraits de matadors (et plus tard d’adolescents ou de militaires) nous parlent indiscutablement d’une réalité, Paola Salerno aussi, dans son exploration du territoire familial ; Pepijn Provily aussi, quoique moins clairement. Mais Miwa Yanagi ? A travers ses mises en scène, elle dit pourtant beaucoup de choses du monde contemporain (et pas uniquement japonais), son caractère aliénant et artificiel.
Avec Bill Henson et Philip-Lorca diCorcia, c’est tout le mystère de l’Autre qui apparaît dans ces portraits qui semblent émerger de l’ombre, comme des souvenirs flottants. Elina Brotherus semble faire sortir de l’indistinct une figure du double. On est ici aux limites de l’autoportrait, qui est aussi une représentation de soi comme étranger à soi-même. Alvarez Bravo et Robert Doisneau apportent dans cette section une touche apaisante, mais la représentation qu’ils donnent du monde extérieur paraît presque étrange tant elle semble exempte de soupçon. C’est ainsi qu’on a pu, ou voulu, voir le monde et les autres : moins une affaire d’époque que de volonté de consolation et de réconciliation.
Régis Durand Commissaire de l'exposition et directeur du CNP. |