Il y a dans beaucoup de portraits, anciens ou contemporains, quelque chose d’absolument énigmatique - proche peut-être de ce que Barthes appelait l’air, et qu’il définissait comme "le supplément intraitable de l’identité". La capture de ce double subtil qui accompagne la représentation des traits (cette "ombre lumineuse qui accompagne le corps"), c’est tout l’art du portrait.
Mais il arrive que le supplément dévore en quelque sorte l’origine, que l’énigme devienne indéchiffrable. Trop de signes ou pas assez, et cela donne alors des torsions violentes dans la forme, d’étranges postures et apparitions. Le corps est saisi, est comme soulevé, tétanisé par une force (Valérie Jouve, Fiorenza Menini, Per Barclay) ; le visage est décadré, saisi en très gros plan (Ange Leccia, Rebecca Bournigault), ou bien sous un angle qui l’anéantit presque (Michel François).
Le voici compacté jusqu’à l’informe (Douglas Gordon, Patrick Tosani), comme si une force broyait les traits et les formes. Le visage cesse d’être humain, ou plutôt il laisse voir le non-humain en lui, proie à des marques extérieures, signe parmi les signes (Valérie Belin, Natacha Lesueur). Le corps est strié, au bord de la dissolution (Anne Deleporte, Maria Hannenkamp), réduit à des objets partiels (Sam Samore).
Lorsque sa représentation revient à une forme d’apaisement, tout se passe comme si le mystère, du coup, n’en était que plus grand encore. Ce portrait que l’on voudrait croire "naturel", il nous semble maintenant rejoindre dans son mystère les portraits du Fayoum ou ceux des grands peintres anglais du dix-huitième siècle, loin de toute identification possible (Désirée Dolron, Carla van de Puttelaar).
Régis Durand, Commissaire de l'exposition et directeur du CNP. |